La critique de l'Affiche

L'avis de
Mordue
Vous savez, j'ai beau être passionnée de théâtre, je continue d'appréhender ce que je ne connais pas bien. Et Sophocle, je ne connais pas bien. Ce n'est pas beaucoup monté, donc ça évoque en moi surtout des souvenirs scolaires - et pas les plus funs. Bref, peur de tomber sur un truc un peu poussiéreux, un peu ennuyeux, avec des tirades qui ne me parlent pas. Peur de passer à côté. Avant le début du spectacle, ma +1 me dit "Tu ne peux pas aimer le théâtre et ne pas aimer Oedipe Roi !". Elle avait partiellement raison. Sa phrase était trop longue. Juste "Tu ne peux pas ne pas aimer Oedipe Roi !".
Il me faut moins d'une seconde, lorsqu'Oedipe entre en scène, pour que je bascule. On ne peut qu'écouter cet homme. Je vais vite comprendre qu'au-delà du talent du comédien, on ne peut qu'écouter cette langue. Ce qui est fou, quand on y pense, c'est qu'on a beau connaître la prophétie - et donc la fin de l'histoire - qui nous est révélée au début, on reste accroché à chaque syllabe. Parce que cette pièce, c'est de la musique. Une joute verbale qui s’écoute comme un chant, grave et hypnotique. C’est une langue qui donne l’impression d’être intelligent rien qu’en l’écoutant. Tellement puissante. Tellement fascinante. Tellement politique.
Mais alors, pourquoi ça marche ? Pourquoi on est autant à fond ? Parce que Sophocle connaît les codes. Peut-être même que c'est lui qui les a inventés. Il y a une mécanique là-dessous qui n’a rien à envier aux séries actuelles. Il y a tout : les dieux, le peuple, la famille, l'enquête, la chute, le pouvoir. L'action, l'espoir, le suspense. Il y a le bonheur qu’on espère, le malheur qu’on pressent, le calme tragique d'une chute qui semble inévitable. Il y a un sens du rythme, du suspense, du retournement. On est devant un monument. Et dès qu’on touche un mur, on se prend une décharge. Sophocle a encore le courant.