La critique de l'Affiche

L'avis de
Mordue
Le Moche. Vous pensez que vous allez voir quel type de pièce vous, quand vous allez voir Le Moche ? A priori, sauf si vous êtes un spécialiste de Mayenburg, vous ne savez pas trop où vous allez tomber. Ou plutôt si, en fait, le titre est assez explicite. Mais le style, le grincement, le regard sur une époque, la cruauté, le rire, celui-là, vous ne le connaissez pas. En tout cas pas comme ça.
Ça fait d’abord un peu l’effet d’un enfant qui lance une vérité gênante. C’est un peu cruel et un peu drôle à la fois. Ça chatouille et ça grince. C’est drôle, oui, parce que le sujet l’est en soi, mais ça titille en nous un côté voyeurisme – parce que la mocheté, c’est un sujet qu’on évite, qu’on masque, mais qui fascine. Encore plus avec ce côté cash. Ça rend le tout cruel. Noir. Très noir. On rit, mais un rire un peu nerveux, un peu gêné. On ne sait pas très bien où on met les pieds, et c’est ça qui est bien.
On avance à tatons, il fait sombre, on met les mains devant nous pour se repérer, et, à l'intérieur, c'est un mélange de curiosité et d'excitation. Nos guides sont formidables. Mention spéciale à Thierry Hancisse, qui passe du pauvre type invisible au mec qui prend toute la place, sans changer de cap, sans jamais appuyer. Il a l’air perdu, il a l’air sûr de lui, il a l’air d’y croire, il a l’air de douter – parfois tout ça en même temps. Et toujours cette chose un peu désarmante, une forme d’humanité en creux. Pas larmoyante. Juste là. Qui flotte.
On sent qu'on nous emmène quelque part. Comme ça, l'air de rien. Elle est étrange, cette pièce. Légère en apparence, et si sombre dans ce qu'elle voudrait dire. Ce n'est jamais dit. Jamais appuyé. C'est juste là. Sans discours. Ça ne cherche jamais à démontrer quoi que ce soit. Ça se lit comme un récit, presque comme un petit roman de SF. L’histoire d’un homme qui change de visage, et avec lui tout le reste. Et en filigrane, sans avoir l’air d’y toucher, on se retrouve à parler du corps, du regard des autres, de la norme, de l’uniformisation, des clones. C’est là, c’est partout, mais toujours glissé dans le rythme du récit. Une mécanique efficace, presque clinique, qui pousse jusqu’au vertige. Est-ce qu’on est encore quelqu’un, si on est comme tout le monde ? Ils n'ont eu qu'une heure quinze, et la démonstration semble mathématique.